Journal

Hiver 2023

2 janvier … Qu’il file vite cet hiver, simple fétu dans le vent ! Et qu’il est lourd en même temps. Lourd de bascule d’un parent, de la santé à la maladie. Le temps semble près de s’arrêter, les cellules épuisées incapables de se renouveler, le regard à peine reconnaissable, les jambes à l’arrêt. Le bout du chemin, celui du père. Un seul espoir, éviter les trop rudes chaînes, l’aliénation et la demi folie d’un être décidément parvenu à ce grand âge qu’on espère atteindre pourtant – parfois.

20 janvier … La tension est lourde, le soutien familial approximatif. Vivre la maladie, pénétrer les hôpitaux, c’est le lot terrible de tant de personnes même jeunes. Il est difficile d’y faire face de toute façon.

28 janvier … Jour de décès, de deuil et de délivrance. Les proches se rapprochent, aident, protègent celle qui reste. Les jeunes amènent leur respect dans des bagages vite bouclés, arrivent des quatre coins du pays, et d’autres aussi. Temps suspendu.

1er février … Ne manque que l’absente de quarante ans de la vie de celui qui vient de quitter son paysage familier. L’hiver est au rendez-vous de ce froid, de ce gel des sentiments.

15 février … Il fait plus froid que souvent dans ce Sud. Qu’attendre d’autre dans cette steppe de souvenirs doux-amers, sous ce ciel inchangé depuis des décennies ? Le décès d’un aïeul, survenant l’été, se vit-il plus légèrement ? Laisse-t-il entrevoir la vie plus facile, les mouvements plus naturels et acceptés, le pardon plus vite accompli…

1er mars … Premiers signes de printemps après le dernier sursaut du froid : de la neige une nuit, vite disparue au matin. Une lettre peut-elle éclairer ce paysage gris-blanc ? Oui, avec ses deux mots d’apaisement, deux mots capables de ramener les souvenirs les plus lointains, les plus amènes. Ceux qu’il faut protéger pour ne pas les abîmer. Pas d’autre solution, le temps n’est plus aux réflexions, aux questions sans réponse. Deux mots qui consolent, c’est déjà beaucoup !

Automne 2022

3 octobre … J’ai laissé passer les premiers jours de l’automne qui s’accrochent à septembre. Trop peu libre d’esprit. Même prendre un crayon et tracer quelques lignes sur les pages du carnet était impossible. Voilà le résultat quand l’été finit et se traîne en longues réflexions amères. Un été trop tout, émotions, chaleur, fatigue, trop de visages à découvrir, à scruter, à comprendre.

28 octobre … Les nuits sont traversées de turbulences, des vies s’y entrechoquent, générations face à face.

10 novembre … Sous la pluie. Après octobre doux et lumineux, novembre s’annonce entre deux tendances, humidité et soleil. Ne sommes-nous pas toujours ballotés entre deux humeurs, envie et apathie, joie et tristesse, empathie et indifférence ?

29 novembre … Temps gris et froid. S’extirper de la blessure météorologique, vivre libre de cet impact inévitable. Se réveiller joyeux ou triste mais quel que soit le ciel aperçu par la fenêtre, que la lumière éblouisse ou qu’elle soit absente. Ce serait un progrès, une victoire pour les sens et pour l’esprit.

2 décembre … En quel monde acceptons-nous de vivre ? Un monde connecté dans lequel nous plongeons, par obligation de plus en plus, par paresse parfois, par ennui souvent. Hommes, femmes, enfants connectés : le sujet est devenu banal. Comme pour tous les excès, vouloir y renoncer est compliqué. Et combien de personnes qui sans cela n’auraient pas de quoi se loger, manger, se chauffer, vivent de ce monde connecté ? Il est impossible de revenir aux modes de vie pré-1990. Avoir soixante ans en 2022 est au moins  l’assurance de ne pas être témoin de la fuite en avant qui se laisse deviner.

3 décembre … Je dois m’appliquer à être lente. Ce n’est plus possible de tout bâcler, je vais avoir des ennuis ! Le soir tombe lentement – lui – sur une journée froide, éclatante par intermittence. Mais rien à ressentir dans ces jours déclinants. Pas de surprise à vivre ces petites morts de l’automne. La terrasse se salit inexorablement, se souille de feuilles mortes, les accepte et les case dans ses recoins. Dépôt des restes de l’été. La terrasse devient un reliquaire pauvre et négligé comme une femme fatiguée. A l’image de la femme active et parfois dépassée que j’ai été, que je ne suis plus ?

6 décembre … Le rêve nous met face à nous-même, à nos questions intimes et à notre image. Questionner notre naissance, le jeu de hasard qui fait que l’on est tel ou tel, selon que nos parents ont succombé à leurs charmes respectifs ? Qui serions-nous, enfant d’une autre elle, d’un autre il ? Question sans réponse que l’on se pose très tôt. Le rêve raconte ces histoires, ces bouts d’existences où se mêlent de nombreux indices qui nous poursuivent toute la journée.

8 décembre … Le dernier mois de 2022 file à toute vitesse. Pour nous rappeler que le temps nous suit à la trace, nous devance quand les rides nouvelles sont évidentes sur le visage certains jours gris. Et les cheveux qui ne sont plus d’ange ! sauf dans leur texture évanescente.

9 décembre … Mois de Noël, en ces temps difficiles pour la magie, le merveilleux ! Il est triste de constater que les yeux d’un enfant au-delà de quatre ou cinq ans ne pétillent plus à l’approche des fêtes. Et comment ne pas être tenté d’incriminer nos modes de vie, notre dévotion au multimédia. Maintenant que les pré-boomers un à un disparaissent (ces anciens combattants qui n’avaient pas connu l’ordinateur), la voie est libre pour tous les excès.

10 décembre … Je suis à la trace un colis parti il y a cinq jours direction la Suède. Hier, le petit carton était hollandais, aujourd’hui danois. Cette nuit, il traversera certainement le petit bout de mer Baltique par le pont d’Oresundsbron… Une escale l’attend au centre de tri de Malmö. Enfin, les petits objets de Noël serrés dans la mailbox traverseront la Scanie, remonteront au Nord en tirant vers l’Est. Norrköping sera le dernier arrêt avant que le petit paquet ne soit jeté dans les sacs postaux destinés à Stockholm-Gärdet ! Arrivée prévue … le ? … Peut être bien avant le 24. Comme toujours pressée, j’avais pris un peu d’avance !

12 décembre … Réveil glacé, les toits givrés, le jardin engourdi. J’en profite pour cueillir une poignée de feuillages verts persistants. C’est un moment rare, ces quelques jours avant Noël où la végétation se prête à un décor. On aurait envie de faire briller quelques étoiles accrochées à des baies rouges !

Eté 2021

27 juin … le sable humide et le sel des franges d’eau imperturbables, mouvements rituels et rythmés … ils rappellent ces jours d’enfance où la mer était une découverte

29 juin … le pouls des jours ne s’accélère pas, seul le battement des tristesses pèse par instants sur la course des sentiments

17 juillet … été dans l’étau des contraintes, alors distractions futiles, recherches vestimentaires pour combler l’envie de plaire à un seul

4 août … lente percée de lumière après la pluie, la lampe se reflète dos au mur, face contre le miroir intérieur, la journée comme la précédente finira sous une clarté relative

17 août … vol des aiguilles de pin dans le jardin, la terrasse est un avaloir de feuilles sèches et de poussière, déjà en automne

20 août … « une ville devient un univers lorsqu’on aime un seul de ses habitants… » univers lointain et (presque) inaccessible, la ville nord

30 août … une lueur, le soleil entre les nuages filtre en dentelles à travers la treille, léger baume du soir

3 septembre … insomnie, chacun est confronté à sa manière à son moi, endormi ou non … pour gagner le sommeil, replonger dans ces pages du journal et lire donne le désir d’écrire

7 septembre … ce mois de rentrée que je ne saurai jamais vivre volontiers … petite mort de la lumière, de la chaleur, de l’insouciance des mois précédents

14 septembre … isolés, physiquement repliés sur nos deux vies … depuis un jour positifs au mal ambiant … comme pour clore l’été

Hiver 2021-2022

5 octobre … pluie hier, passée ce matin… le soleil au réveil pour donner l’élan … paresse, petites envies, courses inutiles, retour bredouille … escapade lointaine ajournée en attendant des jours secs et sans vent … revoir les ailleurs

21 octobre … rêve … toute une (ma ?) famille en route, en exil ? la troupe me précède, me distance … traverse un cours d’eau … je m’arrête devant cet écueil : je suis prête à mettre au monde un enfant. la famille a sauté le pas … je suis seule … elle poursuit son but … le bébé est pris en charge par des inconnus … avec eux, je passe de l’autre côté … au loin la famille se déplace dans un grand espace, un champ à perte de vue … en train de choisir des chevaux parmi tout un troupeau … image très nette de steppes mongoles … sauvages les chevaux … ou sauvage la famille ?

22 octobre … soleil … très lumineux du fait du mistral … temps exécrable pour moi, que d’autres aimeraient … trop de clarté qui écrase tous les détails … être sensible à tant de choses, lumière, température, souvenirs, indifférence, furtives impressions … et en même temps si peu apte à les transcrire … problème

15 novembre … jour gris et ourlé de gouttes furtives qui appellent un hiver définitif … faire resurgir la paix de cette saison froide … revenir à soi dans l’oubli du devoir parfois (de devoir à déboire il y a si peu) … si ce devoir devient obsédant, annihilant … faire naître une décision au plus profond … s’y tenir et n’y plus penser ensuite … il est temps … être aidante tue mon énergie

27 novembre … jours identiques et différents si je le décide … peut être une meilleure volonté de voir et d’agir … où allons-nous dans ce monde radical et extrémisé … très beau soleil … l’hiver s’étale dans le jardin semé de feuilles de chêne et de glands qui craquent sous les pas

26 janvier … deux mois de silence … trêve de Noël sans doute … bonheur des enfants remplissant la maison … l’espace tout entier … puis l’éloignement à nouveau installé dans le cours des jours de janvier

24 février … temps et période moroses … quand sortirons-nous de la pandémie … lorsqu’elle deviendra endémie … pris au piège des décideurs … vie dans un monde sévère aux rapports de force sauvages … ce matin les chars russes entrent en Ukraine … des explosions retentissent dans Kiev … l’histoire s’éveille de sa longue paix