S’ouvrir chaque matin
à un parfum d’air pur
pour que tout dans le monde
donne sa pleine saveur
et que chaque enfant marche
où ses pas feront sens
Mais l’amour vient de si loin
pâli fatigué par les lames du temps
aiguisées à notre esprit incrédule
Le reconnaître est un jeu difficile et cruel
Portraits
Trois filles, trois sœurs, trois femmes : se sentir unies dans une trinité, qui n’a rien à voir avec le divin. Une trinité résumée à la sororité, au soutien, à l’entente. Des références instinctivement établies entre l’aînée, la puînée et la benjamine. Une complicité innée, offerte par la naissance, où très vite s’ajoutent les dons des jeux de l’enfance et toutes les expériences acquises. Entre trois sœurs, l’osmose – parfois – est profonde, totale. Un sentiment dans ce qu’il a de plus fort, jamais renié, jamais mis en péril ni par l’entourage, ni par les circonstances.

Trois filles, de la plus grande à la plus jeune, formant sur la photo pâle un escalier presque parfait. C’est un jour de printemps, elles portent ces robes claires pour la première fois. Un jour de fête, un dimanche de mai. Chacune tient un bouquet à la main : roses tout juste cueillies, épines retirées. Les sourires sont timides, mais la pose bien apprise. Elles savent toutes trois qu’elles jouent un rôle, modèles bien convenables souhaités par la mère. La mère, elle, se tient derrière la plus jeune, sans doute fière de sa progéniture. Elle sourit, timidement aussi, car une photographie ne doit pas traduire d’émotion particulière, seulement une image sage, rassurante. Alors, pas question de rire franchement, d’esquisser le moindre geste, par exemple entourer avec les bras les épaules des petites filles. Il fait beau mais on n’en montre pas pour autant de la joie, une gaieté quelconque, les lèvres sont seulement légèrement pincées. Le cliché une fois déclenché reste dans la boite. Ce n’est que lorsque la pellicule sera terminée et, après le passage chez le photographe, que l’on découvrira l’instant fixé ce matin là, et pour toujours.
Chaque vie est un roman dans le roman d’autres vies. L’enfance se déroule, puis l’adolescence et, parvenus à l’âge adulte, les personnages naissent véritablement. On n’a souvent pas su voir derrière une attitude, des habitudes, des postures, les prémices de défauts, de failles qui petit à petit ou sous l’effet latent des relations familiales finissent par percer. Alors que l’on célèbre facilement les aptitudes, les qualités et les vertus devinées.
Et puis …
Il y a les nouveaux venus, les fiancés, les maris, les gendres
Il y a les habitudes nouvelles, imposées, les usages des uns révélés aux autres
Il y a les regards de côté, les paroles chuchotées, les remarques ravalées
Il y a les jalousies latentes ou déclarées
Il y a des enfants différents, des aptitudes inégales et gênantes
Il y a des métiers trop différents, trop éloignés pour se comprendre
Il y a des sensibilités et des indifférences
Alors se heurtent ces hommes, ces femmes, jeunes et puis moins jeunes. Souvent les heurts sont évités pour ne pas briser l’harmonie, la fausse entente qui pourtant craque de toutes parts. Et l’histoire de la famille continue de s’écrire, bancale, étriquée, petite et forcément malaisée. Les réunions jouent au jeu de massacre, à la loterie à qui perd gagne. Cahin-caha on avance dans une pièce mal jouée, au succès condamné d’avance.
Les sœurs ont perdu la partie, le roman de leurs vies ne s’écrira pas à six mains. Mais toutes ne le savent pas, continuent le jeu de dupe sans même le savoir. L’aînée, très tôt, se retire de la scène, avant même que la puînée et la benjamine ne soient adultes. Ne restent plus que deux joueuses dans la partie engagée à la naissance. La seconde a, depuis l’enfance, mémorisé les répliques et les gestes, les utilise aux moments opportuns, mais pour les autres membres de la famille, pour la benjamine, leur sens s’est dérobé depuis longtemps. Le pire est que la partie semble parfois réussie, que les échanges quelquefois sonnent vrais. Les années passant, la plus jeune continue d’être le dernier tiers de cette partie que les deux autres ont quittée, physiquement pour l’une, affectivement pour l’autre. Elle est la dernière à croire, ou à faire semblant de croire à cette famille. A qui la faute ? Et quelle faute ? Un défaut de sincérité et d’analyse, une absence d’honnêteté, le tout mêlé d’hypocrisie.
Qu’est ce qui n’a pas fonctionné dans le roman de ces vies ? Le mot même de roman n’est pas le bon, rien de subtil ni de profond finalement dans la relation tronquée par manque d’amour véritable et de simple gentillesse. Quel rôle la mère de ces trois sœurs n’a-t-elle pas su jouer ? Celui que personne pour elle n’avait inventé, au temps de sa jeunesse où nul ne l’avait protégée ? Sans doute, mais la résilience aurait pu être sa force, plutôt que ce vide de l’âme, cette absence de réflexion et de sentiment, un aveuglement volontaire devant les faits. Alors, il y a eu …
Les fiancés, les maris, les gendres, ces nouveaux venus difficilement intégrés
Les habitudes nouvelles, les usages des uns refusés par les autres
Les regards de côté, les paroles chuchotées, les remarques ravalées et les jalousies inavouées
Les insensibilités et les indifférences définitivement admises
Portrait décevant d’une famille triste et banale !
Bulletin météo
7 heures 30 et 16 heures 30
Sur un champ de neige du Nord


Perplexité
Correspondances …

« Les gravières s’étranglaient sous le fracas des pluies diluviennes. Dans le torrent, l’eau coulait visqueuse et sale. Autour de nous, seulement des champs déserts. Et pourtant on imaginait, là tout près, des animaux tanguer dans ce décor lunaire, gorges exsangues, langues acides. Nous savions qu’une louve antique, à l’amour viscéral et généreux, aurait été notre seule protection. Etions-nous le jouet du premier cataclysme nucléaire ? Personne n’a su nous montrer d’un index rassurant la fenêtre d’où une lumière fraîche nous aurait éclairés. »
‘Guerre ou Paix’ – Poésie-fiction – mai 2019
Latitude Nord

A travers les îlots de neige, des lacs impulsifs. Sous les ciels bleus et blancs, venues des terres proches, des pierres rouges teintées de gouttes blanches. Rochers posés dans des parcs si rarement en fleurs, cimetières polychromes aux voix austères. Le pâle ciel ne vibre que d’îles de recueillement à peine troublées par la dislocation des glaces. Ici j’ignore mes jours, je commence une nuit boréale à chaque échappée, chaque élan du Sud au Nord. Ebauches déçues, réchauffement avorté près de ceux qui veillent simplement dans cette ville, ailleurs, cet autrement.

La neige tombe du toit et la poudreuse me farde les joues. Sur le chemin le froid crisse et gémit. Les arbres, les beaux arbres encore endormis, quelle couleur ont ils eue un jour ici. Le regard figé par ce liquide au fond des yeux, un jour, plus tard, s’illuminera encore. Le temps si court courra alors vers nous avec un redoux, un relent de gulf stream.

C’est l’hiver dans la lumière éclatée des champs de neige du Nord. La ville se colore tout doucement, se couvre de glace, de givre pour briller autrement. Lentement, les hommes s’y promènent, pantins habillés de laine molle et chaude. Ils iront ainsi, marionnettes patientes attendant le retour des jours longs.