Citations

Hector BianciottiComme la trace de l’oiseau dans l’air (1999)

« Était-il vieux, ce jour des au revoir, lorsque je quittai le pays, jadis, certain que ce serait pour toujours, ne l’avouant pas. Pour la première fois, devant l’un de ses enfants, elle avait éclaté en sanglots. J’étais revenu sur mes pas et, aussi pour la première fois, je l’avais serrée contre moi.

« La vérité est une étrangère en ce monde et toute cohabitation à long terme avec elle se révèle impossible. Seul ce que l’on ressent dans l’instant et sans interprétation est, en soi, incontestable.

« Plus les jours glissent, plus on découvre, si l’on regarde en arrière, les envoyés de la providence qui tour à tour nous ont montré la route à suivre, et cela en ignorant qu’ils étaient les guides appelés à pointer l’index en guise de signal. Parfois, ils étaient nos ennemis, ou nous les leurs.

Impermanence

 

La part éphémère de chacun se délite
Peu à peu la buée brouille le regard
et la pensée se voile
Ne reste que l’ombre de chaque particule
une ombre fixe parce que nous le décidons
parce que son idée même nous rassure
Mais le tout finira par se fondre dans cette ouate
incolore et impalpable qu’est le reflet de notre âme

Comme au théâtre

Trois « Seule en scène » – Trois vies de femmes

AURORE ET GEORGE, UNE VIE

Deuxième moitié du XIXème siècle

Une femme raconte son enfance, ses parents, sa vie de femme et d’écrivain. Fragments tirés des œuvres autobiographiques* de George Sand et réunis en une suite chronologique.

*Histoire de ma vie, Impressions et Souvenirs, Un hiver à Majorque, Correspondance

Lire …

IRENE, EN APARTE

Années 1950

Dans un monologue lucide, une femme encore jeune raconte ses difficultés quotidiennes et explore ses désirs jusqu’à révéler ses intimes regrets.

Lire…

JEANNE, JUSQU’AUX MONTAGNES DU TONKIN

Années 1930

Jeanne, vieillie, retrouve le journal qu’elle avait rédigé à l’occasion de son séjour au Tonkin au début de son mariage. En relisant ces pages, elle revit ses émotions, ses peurs, ses angoisses, ses désirs, ses étonnements et aussi quelques joies éphémères.

Lire…

 

Journal d’automne

3 octobre … J’ai laissé passer les premiers jours de l’automne qui s’accrochent à septembre. Trop peu libre d’esprit. Même prendre un crayon et tracer quelques lignes sur les pages du carnet était impossible. Voilà le résultat quand l’été finit et se traîne en longues réflexions amères. Un été trop tout, émotions, chaleur, fatigue, trop de visages à découvrir, à scruter, à comprendre.

28 octobre … Les nuits sont traversées de turbulences, des vies s’y entrechoquent, générations face à face.

10 novembre … Sous la pluie. Après octobre doux et lumineux, novembre s’annonce entre deux tendances, humidité et soleil. Ne sommes-nous pas toujours ballotés entre deux humeurs, envie et apathie, joie et tristesse, empathie et indifférence ?

29 novembre … Temps gris et froid. S’extirper de la blessure météorologique, vivre libre de cet impact inévitable. Se réveiller joyeux ou triste mais quel que soit le ciel aperçu par la fenêtre, que la lumière éblouisse ou qu’elle soit absente. Ce serait un progrès, une victoire pour les sens et pour l’esprit.

2 décembre … En quel monde acceptons-nous de vivre ? Un monde connecté dans lequel nous plongeons, par obligation de plus en plus, par paresse parfois, par ennui souvent. Hommes, femmes, enfants connectés : le sujet est devenu banal. Comme pour tous les excès, vouloir y renoncer est compliqué. Et combien de personnes qui sans cela n’auraient pas de quoi se loger, manger, se chauffer, vivent de ce monde connecté ? Il est impossible de revenir aux modes de vie pré-1990. Avoir soixante ans en 2022 est au moins  l’assurance de ne pas être témoin de la fuite en avant qui se laisse deviner.

3 décembre … Je dois m’appliquer à être lente. Ce n’est plus possible de tout bâcler, je vais avoir des ennuis ! Le soir tombe lentement – lui – sur une journée froide, éclatante par intermittence. Mais rien à ressentir dans ces jours déclinants. Pas de surprise à vivre ces petites morts de l’automne. La terrasse se salit inexorablement, se souille de feuilles mortes, les accepte et les case dans ses recoins. Dépôt des restes de l’été. La terrasse devient un reliquaire pauvre et négligé comme une femme fatiguée. A l’image de la femme active et parfois dépassée que j’ai été, que je ne suis plus ?

6 décembre … Le rêve nous met face à nous-même, à nos questions intimes et à notre image. Questionner notre naissance, le jeu de hasard qui fait que l’on est tel ou tel, selon que nos parents ont succombé à leurs charmes respectifs ? Qui serions-nous, enfant d’une autre elle, d’un autre il ? Question sans réponse que l’on se pose très tôt. Le rêve raconte ces histoires, ces bouts d’existences où se mêlent de nombreux indices qui nous poursuivent toute la journée.

8 décembre … Le dernier mois de 2022 file à toute vitesse. Pour nous rappeler que le temps nous suit à la trace, nous devance quand les rides nouvelles sont évidentes sur le visage certains jours gris. Et les cheveux qui ne sont plus d’ange ! sauf dans leur texture évanescente.

9 décembre … Mois de Noël, en ces temps difficiles pour la magie, le merveilleux ! Il est triste de constater que les yeux d’un enfant au-delà de quatre ou cinq ans ne pétillent plus à l’approche des fêtes. Et comment ne pas être tenté d’incriminer nos modes de vie, notre dévotion au multimédia. Maintenant que les pré-boomers un à un disparaissent (ces anciens combattants qui n’avaient pas connu l’ordinateur), la voie est libre pour tous les excès.

10 décembre … Je suis à la trace un colis parti il y a cinq jours direction la Suède. Hier, le petit carton était hollandais, aujourd’hui danois. Cette nuit, il traversera certainement le petit bout de mer Baltique par le pont d’Oresundsbron… Une escale l’attend au centre de tri de Malmö. Enfin, les petits objets de Noël serrés dans la mailbox traverseront la Scanie, remonteront au Nord en tirant vers l’Est. Norrköping sera le dernier arrêt avant que le petit paquet ne soit jeté dans les sacs postaux destinés à Stockholm-Gärdet ! Arrivée prévue … le ? … Peut être bien avant le 24. Comme toujours pressée, j’avais pris un peu d’avance !

12 décembre … Réveil glacé, les toits givrés, le jardin engourdi. J’en profite pour cueillir une poignée de feuillages verts persistants. C’est un moment rare, ces quelques jours avant Noël où la végétation se prête à un décor. On aurait envie de faire briller quelques étoiles accrochées à des baies rouges !

Rock around the Chapel

Quelque part une chapelle
éventrée
dé-visagée
dé-vitraillée
Des images de destruction
et d’abandon
indiscrètes et blessantes
se lovent grossièrement
sous la voûte absente
Et en s’éloignant
tristement
on peut entendre
un chant écorché
monter
de ce lieu profané

Humeur

Septembre va se terminer, fermer la gueule de l’été pendant que les nuages s’amoncellent ici ou là, prêts à éclater au-dessus de quelque tête. Septembre est sale et méchant, tête de mule et ventre d’ingrat. Septembre n’a rien qui vaille la peine de s’y étendre. Sa couverture annonciatrice d’hiver est déjà tachée d’ombres. En quel monde veut-il nous jeter ? Les beaux jours, les soleils et toutes les chaleurs, il les efface, nous replonge dans le quotidien, le vrai, le dur qui autour de lui n’empêche pas le monde de tourner la boule à l’envers.

Années soixante

La plage des années soixante existe encore. Je l’ai rencontrée, je dirais même que je la rencontre chaque année depuis toujours. Mêmes longues étendues de sable fin, mêmes dunes retenues par les ganivelles, mêmes drapeaux annonçant le calme ou la nervosité des vagues.

Début juillet il est encore possible, comme soixante ans plus tôt, d’étaler sa serviette sur un espace viable. C’est une plage du Sud de la France, sur ce littoral languedocien bordé, du Rhône à l’Espagne, d’étangs plus ou moins vastes. La nostalgie des lieux tient sans doute dans ce coude à coude entre la mer et l’étang. Les étendues planes, coupées seulement par endroit par les touffes de salicorne et les silhouettes roses des tamaris prêtent aux plages de sable voisines leur air nonchalant et presque abandonné.

Dans ce décor naturel, les mouettes survolent toujours les serviettes des baigneurs en jetant leur cri éraillé, des voix d’enfants se mêlent au bruit des vagues, les vendeurs de glace attirent le client par leurs slogans plus ou moins timides, au loin de temps en temps un moteur de bateau force un peu bruyamment son accélération, les chateaux de sable s’élèvent avant de s’écrouler sous la montée de l’eau, de petits avions traversent le bout de ciel bleu étirant une banderole de publicité et les parasols multicolores semblent arrimés là depuis tout ce temps. Rien n’a donc changé.

Enfin presque. Il manque à tout ce décor une odeur de simple casse-croûte, un relent de fond d’huile bouillante rehaussé de sel : celle qui émanait du fourgon-buvette calé bien à l’abri de la dune. Son propriétaire s’improvisait cuisinier de juin à septembre. Avec ses barquettes de patates huileuses, il était là pour compléter les pique-niques que les mamans étalaient sur des torchons sous le parasol à l’heure du midi. Son installation artisanale, parfois bancale était d’une propreté équivoque, mais personne ne le déplorait, pas même nos estomacs.

Le vendeur de frites et son bric-à-brac ont été chassés du bord de mer. Normes d’hygiène insuffisantes, occupation de l’espace inapproprié, esthétique équivoque… Les raisons de leur disparition ne manquent pas depuis que des réglementations multiples imposent leurs critères draconiens. Pendant ce temps, de loin en loin, de luxueux restaurants déguisés en paillote se sont installés et occupent l’espace six mois sur douze. Il faut dire que, à la plage comme à la ville, désormais l’assiette se doit d’être artistique, gastronomique, élitiste.

Mais en détournant le regard, avec un petit effort, on peut revoir le fourgon Frites-Buvette arrimé là en fond de plage, juste à l’endroit où le sable brûle les pieds. Et en fermant les yeux, sentir un relent de friture nous chatouiller les narines. L’espace d’un moment, replonger dans les années soixante.