Je suis chemin, arbre et verdure
Je fraye contre le bois des haies
bois le sérum qui s’écoule des feuilles encore fraîches
Je me protège des tempêtes internes
des vagues de désir enfouies sous des chaleurs
qui montent du ventre
brûlent la gorge
et font pleurer les paupières des rivières
Journal d’hiver
2 janvier … Qu’il file vite cet hiver, simple fétu dans le vent ! Et qu’il est lourd en même temps. Lourd de bascule d’un parent, de la santé à la maladie. Le temps semble près de s’arrêter, les cellules épuisées incapables de se renouveler, le regard à peine reconnaissable, les jambes à l’arrêt. Le bout du chemin, celui du père. Un seul espoir, éviter les trop rudes chaînes, l’aliénation et la demi folie d’un être décidément parvenu à ce grand âge qu’on espère atteindre pourtant – parfois.
20 janvier … La tension est lourde, le soutien familial approximatif. Vivre la maladie, pénétrer les hôpitaux, c’est le lot terrible de tant de personnes même jeunes. Il est difficile d’y faire face de toute façon.
28 janvier … Jour de décès, de deuil et de délivrance. Les proches se rapprochent, aident, protègent celle qui reste. Les jeunes amènent leur respect dans des bagages vite bouclés, arrivent des quatre coins du pays, et d’autres aussi. Temps suspendu.
1er février … Ne manque que l’absente de quarante ans de la vie de celui qui vient de quitter son paysage familier. L’hiver est au rendez-vous de ce froid, de ce gel des sentiments.
15 février … Il fait plus froid que souvent dans ce Sud. Qu’attendre d’autre dans cette steppe de souvenirs doux-amers, sous ce ciel inchangé depuis des décennies ? Le décès d’un aïeul, survenant l’été, se vit-il plus légèrement ? Laisse-t-il entrevoir la vie plus facile, les mouvements plus naturels et acceptés, le pardon plus vite accompli…
1er mars … Premiers signes de printemps après le dernier sursaut du froid : de la neige une nuit, vite disparue au matin. Une lettre peut-elle éclairer ce paysage gris-blanc ? Oui, avec ses deux mots d’apaisement, deux mots capables de ramener les souvenirs les plus lointains, les plus amènes. Ceux qu’il faut protéger pour ne pas les abîmer. Pas d’autre solution, le temps n’est plus aux réflexions, aux questions sans réponse. Deux mots qui consolent, c’est déjà beaucoup !
Va savoir !
Ecrit à partir de vingt huit mots tirés de « Rien que la vie » – Alice Munro
Le repos me rendait immobile. La rudesse des opinions prononcées avait agi sur mes nerfs. De nouvelles sensations, pourtant, me semblaient en accord avec de vieux poncifs que nombre de parents profèrent à leurs enfants. Brusquement, je fus consciente d’avoir survécu à de bien bizarres conversations. Il me sembla que depuis longtemps on lisait dans mes pensées par dessus mon épaule et cela produisit de petites et fines étincelles qui m’éloignèrent définitivement de tous ces gens qui m’avaient si régulièrement parlé pour tenter de me consoler ou au contraire de me convaincre.
Définitivement
Impermanence
La part éphémère de chacun se délite
Peu à peu la buée brouille le regard
et la pensée se voile
Ne reste que l’ombre de chaque particule
une ombre fixe parce que nous le décidons
parce que son idée même nous rassure
Mais le tout finira par se fondre dans cette ouate
incolore et impalpable qu’est le reflet de notre âme
Revue Caractère
Revue de création littéraire éditée depuis 1992 par le département des Lettres de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
Mon texte « Cette ombre qui me colle à la peau » a été sélectionné et parait dans le numéro XXXI de la revue sur le thème « Ventouse » (automne 2022).
Comme au théâtre
Trois « Seule en scène » – Trois vies de femmes
AURORE ET GEORGE, UNE VIE
Deuxième moitié du XIXème siècle
Une femme raconte son enfance, ses parents, sa vie de femme et d’écrivain. Fragments tirés des œuvres autobiographiques* de George Sand et réunis en une suite chronologique.
*Histoire de ma vie, Impressions et Souvenirs, Un hiver à Majorque, Correspondance
IRENE, EN APARTE
Années 1950
Dans un monologue lucide, une femme encore jeune raconte ses difficultés quotidiennes et explore ses désirs jusqu’à révéler ses intimes regrets.
JEANNE, JUSQU’AUX MONTAGNES DU TONKIN
Années 1930
Jeanne, vieillie, retrouve le journal qu’elle avait rédigé à l’occasion de son séjour au Tonkin au début de son mariage. En relisant ces pages, elle revit ses émotions, ses peurs, ses angoisses, ses désirs, ses étonnements et aussi quelques joies éphémères.
Qu’y puis-je ?
Je suis d’ici
non d’ailleurs
pas encore d’au-delà
Etre là
sans aimer ici
Celui qui me parle
de ce pays
ne me séduit pas
Rien ne peut m’y accorder
que mes pas et quelques souvenirs
Rien ne m’y ressemble
que le ciel gris ou bleu
chaud ou glaçant
des matins d’enfant
Ce pays là
ne me colle pas à la peau
Aucun autre pourtant
ne m’a accouchée élevée
promis douleurs et plaisirs
Je suis d’ici
sans désir ni vouloir
Son vent furieux
ne me va pas plus
que les jours subis
De parents en aïeux
mes années s’y étirent
Je suis d’ici sans devoir
sans volonté
Pour qui pour quoi
être restée
Pour une odeur d’habitude
une absence de vision lointaine
Et je suis ici
acceptant cette terre
son eau et son air bleus
comme le ciel à ma naissance
Je suis d’ici
Qu’y puis-je ?