Elle est un peu muette publiquement absente
peu concernée lointaine figée de naissance
Et puis vient une ride au coin des lèvres
entre les sourcils clairsemés d’absence
Et le passant l’ami l’enfant
pressentent une noirceur
une profonde froideur
peut être de l’indifférence
un excès de sérieux
un défaut de légèreté de tolérance
Leurs yeux la voient
camouflée sous la tristesse
incapable de s’en extraire
de la chasser de sa peau
Elle sait que de tous ses pores elle aime
rire éclater bruire et semer la joie
Et elle se dit qu’elle a certainement avancé
maladroitement depuis tout ce temps
où elle croyait
savoir
Au vent
Je regarde le jardin
J’entends le vent
Je vois les arbres, leurs branches en partance
Comme un déchaînement de petites forces
un va et vient dansant sur fond bleu
Le vent aujourd’hui irise de bleu limpide
Pas de plainte triste
mais des formes dynamiques
frôlant les espaces des oiseaux
qui ce matin racontent la journée
Créer, imiter, créer….
« Il ne faut imiter que ce que l’on veut créer » (Georges Braque, Le jour et la nuit)… Encore faut-il vouloir, pouvoir créer. Il m’arrive chaque jour – ou presque – de me mettre en situation de faire quelque chose de mes mains ou de tenter de tirer de ma tête une réflexion. Cette recherche est un défi que je me lance, mission qui m’afflige – ou me réjouit. Une situation venue me préoccuper avec les années, dans le souci (légitime ?) de ne pas gâcher le temps restant en occupations futiles. Dans le but aussi de me rassurer en me prouvant que la « création » n’est pas un vain mot pour moi, que comme tant d’autres, je sais extraire de mes méninges quelques petites pépites (n’ayons pas peur des mots…). L’angoisse n’est pas loin en ces jours où les mots ne viennent pas, pas plus que le geste qui permettrait de faire naître la plus petite babiole. Ouf !
Journal d’hiver
2 janvier … Qu’il file vite cet hiver, simple fétu dans le vent ! Et qu’il est lourd en même temps. Lourd de bascule d’un parent, de la santé à la maladie. Le temps semble près de s’arrêter, les cellules épuisées incapables de se renouveler, le regard à peine reconnaissable, les jambes à l’arrêt. Le bout du chemin, celui du père. Un seul espoir, éviter les trop rudes chaînes, l’aliénation et la demi folie d’un être décidément parvenu à ce grand âge qu’on espère atteindre pourtant – parfois.
20 janvier … La tension est lourde, le soutien familial approximatif. Vivre la maladie, pénétrer les hôpitaux, c’est le lot terrible de tant de personnes même jeunes. Il est difficile d’y faire face de toute façon.
28 janvier … Jour de décès, de deuil et de délivrance. Les proches se rapprochent, aident, protègent celle qui reste. Les jeunes amènent leur respect dans des bagages vite bouclés, arrivent des quatre coins du pays, et d’autres aussi. Temps suspendu.
1er février … Ne manque que l’absente de quarante ans de la vie de celui qui vient de quitter son paysage familier. L’hiver est au rendez-vous de ce froid, de ce gel des sentiments.
15 février … Il fait plus froid que souvent dans ce Sud. Qu’attendre d’autre dans cette steppe de souvenirs doux-amers, sous ce ciel inchangé depuis des décennies ? Le décès d’un aïeul, survenant l’été, se vit-il plus légèrement ? Laisse-t-il entrevoir la vie plus facile, les mouvements plus naturels et acceptés, le pardon plus vite accompli…
1er mars … Premiers signes de printemps après le dernier sursaut du froid : de la neige une nuit, vite disparue au matin. Une lettre peut-elle éclairer ce paysage gris-blanc ? Oui, avec ses deux mots d’apaisement, deux mots capables de ramener les souvenirs les plus lointains, les plus amènes. Ceux qu’il faut protéger pour ne pas les abîmer. Pas d’autre solution, le temps n’est plus aux réflexions, aux questions sans réponse. Deux mots qui consolent, c’est déjà beaucoup !
Qu’y puis-je ?
Je suis d’ici
non d’ailleurs
pas encore d’au-delà
Etre là
sans aimer ici
Celui qui me parle
de ce pays
ne me séduit pas
Rien ne peut m’y accorder
que mes pas et quelques souvenirs
Rien ne m’y ressemble
que le ciel gris ou bleu
chaud ou glaçant
des matins d’enfant
Ce pays là
ne me colle pas à la peau
Aucun autre pourtant
ne m’a accouchée élevée
promis douleurs et plaisirs
Je suis d’ici
sans désir ni vouloir
Son vent furieux
ne me va pas plus
que les jours subis
De parents en aïeux
mes années s’y étirent
Je suis d’ici sans devoir
sans volonté
Pour qui pour quoi
être restée
Pour une odeur d’habitude
une absence de vision lointaine
Et je suis ici
acceptant cette terre
son eau et son air bleus
comme le ciel à ma naissance
Je suis d’ici
Qu’y puis-je ?
Journal d’automne
3 octobre … J’ai laissé passer les premiers jours de l’automne qui s’accrochent à septembre. Trop peu libre d’esprit. Même prendre un crayon et tracer quelques lignes sur les pages du carnet était impossible. Voilà le résultat quand l’été finit et se traîne en longues réflexions amères. Un été trop tout, émotions, chaleur, fatigue, trop de visages à découvrir, à scruter, à comprendre.
28 octobre … Les nuits sont traversées de turbulences, des vies s’y entrechoquent, générations face à face.
10 novembre … Sous la pluie. Après octobre doux et lumineux, novembre s’annonce entre deux tendances, humidité et soleil. Ne sommes-nous pas toujours ballotés entre deux humeurs, envie et apathie, joie et tristesse, empathie et indifférence ?
29 novembre … Temps gris et froid. S’extirper de la blessure météorologique, vivre libre de cet impact inévitable. Se réveiller joyeux ou triste mais quel que soit le ciel aperçu par la fenêtre, que la lumière éblouisse ou qu’elle soit absente. Ce serait un progrès, une victoire pour les sens et pour l’esprit.
2 décembre … En quel monde acceptons-nous de vivre ? Un monde connecté dans lequel nous plongeons, par obligation de plus en plus, par paresse parfois, par ennui souvent. Hommes, femmes, enfants connectés : le sujet est devenu banal. Comme pour tous les excès, vouloir y renoncer est compliqué. Et combien de personnes qui sans cela n’auraient pas de quoi se loger, manger, se chauffer, vivent de ce monde connecté ? Il est impossible de revenir aux modes de vie pré-1990. Avoir soixante ans en 2022 est au moins l’assurance de ne pas être témoin de la fuite en avant qui se laisse deviner.
3 décembre … Je dois m’appliquer à être lente. Ce n’est plus possible de tout bâcler, je vais avoir des ennuis ! Le soir tombe lentement – lui – sur une journée froide, éclatante par intermittence. Mais rien à ressentir dans ces jours déclinants. Pas de surprise à vivre ces petites morts de l’automne. La terrasse se salit inexorablement, se souille de feuilles mortes, les accepte et les case dans ses recoins. Dépôt des restes de l’été. La terrasse devient un reliquaire pauvre et négligé comme une femme fatiguée. A l’image de la femme active et parfois dépassée que j’ai été, que je ne suis plus ?
6 décembre … Le rêve nous met face à nous-même, à nos questions intimes et à notre image. Questionner notre naissance, le jeu de hasard qui fait que l’on est tel ou tel, selon que nos parents ont succombé à leurs charmes respectifs ? Qui serions-nous, enfant d’une autre elle, d’un autre il ? Question sans réponse que l’on se pose très tôt. Le rêve raconte ces histoires, ces bouts d’existences où se mêlent de nombreux indices qui nous poursuivent toute la journée.
8 décembre … Le dernier mois de 2022 file à toute vitesse. Pour nous rappeler que le temps nous suit à la trace, nous devance quand les rides nouvelles sont évidentes sur le visage certains jours gris. Et les cheveux qui ne sont plus d’ange ! sauf dans leur texture évanescente.
9 décembre … Mois de Noël, en ces temps difficiles pour la magie, le merveilleux ! Il est triste de constater que les yeux d’un enfant au-delà de quatre ou cinq ans ne pétillent plus à l’approche des fêtes. Et comment ne pas être tenté d’incriminer nos modes de vie, notre dévotion au multimédia. Maintenant que les pré-boomers un à un disparaissent (ces anciens combattants qui n’avaient pas connu l’ordinateur), la voie est libre pour tous les excès.
10 décembre … Je suis à la trace un colis parti il y a cinq jours direction la Suède. Hier, le petit carton était hollandais, aujourd’hui danois. Cette nuit, il traversera certainement le petit bout de mer Baltique par le pont d’Oresundsbron… Une escale l’attend au centre de tri de Malmö. Enfin, les petits objets de Noël serrés dans la mailbox traverseront la Scanie, remonteront au Nord en tirant vers l’Est. Norrköping sera le dernier arrêt avant que le petit paquet ne soit jeté dans les sacs postaux destinés à Stockholm-Gärdet ! Arrivée prévue … le ? … Peut être bien avant le 24. Comme toujours pressée, j’avais pris un peu d’avance !
12 décembre … Réveil glacé, les toits givrés, le jardin engourdi. J’en profite pour cueillir une poignée de feuillages verts persistants. C’est un moment rare, ces quelques jours avant Noël où la végétation se prête à un décor. On aurait envie de faire briller quelques étoiles accrochées à des baies rouges !
Humeur N&B
Humeur
Septembre va se terminer, fermer la gueule de l’été pendant que les nuages s’amoncellent ici ou là, prêts à éclater au-dessus de quelque tête. Septembre est sale et méchant, tête de mule et ventre d’ingrat. Septembre n’a rien qui vaille la peine de s’y étendre. Sa couverture annonciatrice d’hiver est déjà tachée d’ombres. En quel monde veut-il nous jeter ? Les beaux jours, les soleils et toutes les chaleurs, il les efface, nous replonge dans le quotidien, le vrai, le dur qui autour de lui n’empêche pas le monde de tourner la boule à l’envers.