Texte proposé – et non sélectionné – au Concours de Nouvelles « 48h pour écrire » organisé par Edilivre
Thème  : Et si j’étais un animal, lequel serais-je ?

Je sais que j’agace, que j’effraie par mes vols saccadés et imprévibles, mes bourdonnements, mes vrombissements. Ce n’est pas pour rien que l’on m’appelle Buzzygirl !

Oui, je vois bien que je la dérange, la dame en train de prendre un repos bien mérité, tranquillement installée sur sa chaise longue. Je suis venue chez elle, attirée par ses plates-bandes, ses massifs, ses allées fleuries. Dans ce quartier, pas de meilleur coin à butiner. La jolie femme dans son jardin a la main verte, elle s’y connait en espèces de toutes sortes, des plus odorantes aux plus discrètes, des éphémères aux vivaces.

Depuis ce matin, elle n’a pas encore fait attention à moi. Il faut dire que j’ai pris la peine d’enfiler une jupe verte et un chemisier fleuri. Plus je me camoufle, moins je risque l’affrontement avec les hôtes de ces jardins.

La voilà qui se lève pour continuer sa tâche matinale. Elle a dans la main son outil de prédilection, un sécateur à bouquet. Attention de ne pas l’agacer de trop près. Je sens qu’elle va me priver bientôt du nectar de ces giroflées que je comptais récolter ce matin.

Je ne vous avais pas précisé : je suis abeille ouvrière et l’on attend de moi pas mal de travail en échange de mes balades dans les jardins. Je ne peux perdre une journée sans fournir à ma reine le fruit de mes excursions.

Je suis très excitée ce matin, c’est vrai ! C’est que je dois être efficace, productive, un peu comme la femme que j’observe en ce moment. Mais contrairement à elle, je n’ai pas la vie devant moi. J’ai l’air en forme, comme ça, bien bronzée, coiffée et apprêtée comme une pin-up dans ma jolie tenue, mais je n’ai pas l’été devant moi. Mes jours sont comptés. Mon travail est tellement épuisant que, me croirez-vous ? je ne serai plus de ce monde avant l’automne.

Mais je m’égare, je discute, je palabre… Pendant ce temps, jolie Madame me tend le piège auquel je ne m’attendais pas de sa part. Je ne sais pas pourquoi je suis si confiante ce matin, habituellement je me méfie davantage. Des odeurs suspectes m’avertissent souvent que le danger est proche. En pleine campagne surtout, je hume de loin les relents mortifères qui balayent les champs. Et je les vois venir les hommes avec leurs engins. Eux n’ont jamais fait attention à moi. Mais attention, pas tombée de la dernière pluie, la petite Buzzygirl ! Dans ces coins là, je me camoufle sous ma cape couleur de sable, mon petit bonnet vert me protégeant des sales émanations de leurs outils. Ce n’est pas de la poudre dorée qu’ils dispersent, il n’y a pas de gentils marchands de sables dans ces contrées dangereuses.

Et oui, je sais qu’il ne me reste pas grand temps à vivre. Mais ce matin, je me sentais si jeune et jolie en jupe verte, couleur de l’espérance ! Le jardin à plates-bandes m’accueillait si gentiment. Du travail à portée de main, sans trop de fatigue. Butiner les giroflées, les géraniums, puis passer aux lavandes, aux marguerites, aux oeillets… Et ramasser un joli butin. « C’est ma reine qui sera fière de moi ! » me disais-je en commençant mon travail matinal.

Et voilà que ma journée vire à la désillusion. Ma jolie Dame a repéré quelques pucerons ici et là. Ces pauvres petites bêtes n’ont pas eu comme moi l’idée de se camoufler. Je me tiens prudemment à distance. La dame est en train d’agiter sa bombe, des giclées de poison se répandent sur les massifs. « Pas folle la guêpe » pourrais-je dire, elle a mis son mouchoir sur son nez. Elle sait bien que l’air de son jardin perd tout d’un coup de sa fraîcheur. Il y a danger, elle l’a bien compris. Et moi qui la trouvais parfaite. Je vous l’avoue maintenant, j’avais pris l’habitude de m’habiller comme elle pour venir dans son quartier, tellement je l’admirais.

Elle ne m’apercevra pas aujourd’hui. Je suis obligée de battre en retraite, même ici je risque trop. Mon contrat d’ouvrière ne me permet pas de mourir avant la fin de l’été. Ma reine m’attend avant la tombée du jour pour récolter le produit de mon travail. Moi qui croyais avoir trouvé le jardin idéal !

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