Perle de nacre, nacre perlée. D’où me vient cette rime ? D’une chanson entendue enfant ? D’un conte oriental ? Je n’en sais vraiment rien ce matin, alors que lentement le jour se lève, que la chaleur monte, douce et cotonneuse. Des parfums, peut être, me reviennent avec cette évocation, voisins de celui des fleurs de tiaré qui sentent l’été, ou des lavandes persistantes parce que plus proches… Mais la perle, elle, vient des eaux, des océans, des étangs, des mers où le coquillage la crée. Ici, rien de tout cela, dans ma campagne aride où le plus petit filet d’eau nous fuit. Un filet d’eau ? Mais oui, celui de ma douche. Et la perle de nacre, bien sûr, je la vois dessinée sur le flacon de shampoing sur le bord de la baignoire. Tout à coup, je ne sais à qui donner ma préférence, à la perle ou à la nacre… ou à la journée qui débute.
Citations
Hector Bianciotti – Comme la trace de l’oiseau dans l’air (1999)
« Était-il vieux, ce jour des au revoir, lorsque je quittai le pays, jadis, certain que ce serait pour toujours, ne l’avouant pas. Pour la première fois, devant l’un de ses enfants, elle avait éclaté en sanglots. J’étais revenu sur mes pas et, aussi pour la première fois, je l’avais serrée contre moi.
« La vérité est une étrangère en ce monde et toute cohabitation à long terme avec elle se révèle impossible. Seul ce que l’on ressent dans l’instant et sans interprétation est, en soi, incontestable.
« Plus les jours glissent, plus on découvre, si l’on regarde en arrière, les envoyés de la providence qui tour à tour nous ont montré la route à suivre, et cela en ignorant qu’ils étaient les guides appelés à pointer l’index en guise de signal. Parfois, ils étaient nos ennemis, ou nous les leurs.
La mare perdue
Je regardais le ciel épais*. Epais comme un miroir dans l’obscurité, lourd comme mon pas hésitant. Tout était obturé, fermé aux quatre coins du lieu. C’était pourtant une journée d’été. Je voyais ce ciel lourd. La maison était chaude, envahie de canicule. Je décidai de sortir, de quitter un abri devenu inconfortable. La campagne, blessée par le gris des rayons du soleil caché sous des nuées amoncelées, respirait en silence. Dans le chemin, les odeurs se terraient sous les buissons, les herbes n’ondulaient pas. Les haies de cyprès n’avaient pas d’ombre, le ciel tombait au droit de leurs silhouettes effilées.
J’allai plus loin, vers la colline, vers les sous-bois de chênes, seule fin pour retrouver, dans une odeur de menthe et de citron, une idée de légèreté. Et faire reculer ce poids étalé sur le corps, la moiteur du toucher de la peau, les ruisseaux de sueur dans les cils et les yeux dans leur éblouissement.
Puis, je ne vis plus rien nettement, des taches mouvantes sursautaient devant moi, je marchais hésitante, un peu inquiète, mais aussi presque soulagée par cette subite retraite de la vue. Je sentais que j’allais profiter d’un répit, me détacher de mon image trop nette. Jusqu’à quand, je ne le savais pas et cela n’avait pas d’importance.
Je me dis simplement que si j’avançais encore dans le sous-bois retiré, une légère étendue d’eau, une minuscule mare perdue là au bon endroit me rendrait mon image reposée, mon regard s’y reconnaîtrait et les petites taches sautillantes disparaîtraient. Croire en ce mirage et avancer sereinement.
*Anita Conti (1899-1997)
Rendez vous
Eveils
Elle se lève très tôt. A l’aurore. Elle a mal dormi. Hachures, rayures, rainures, pointillés… C’est ce qu’a donné son sommeil. Elle le sent, perçoit au tréfond d’elle-même quelques légères blessures. Elle ne sait les apaiser, pense « Oui, c’est pire la nuit que le jour ». Bizarrement, l’obscurité met en évidence ce que l’absence de lumière devrait occulter. Elle se dit ça. Il faudrait se protéger de cet écran noir des nuits sans paix ni vrai repos. Du coup, le jour est presque son ami. Même quand mettre le pied à terre semble un défi, le risque qu’il faut prendre. Alors, la vue d’un rai de lumière montant lentement de la profondeur de la nuit lui apporte un instant de joie. Elle aime sentir la fraîcheur du matin, ouvrir lentement et sans bruit une porte, une fenêtre. Surtout ne pas réveiller ceux qui ont embrassé le sommeil si totalement, si utilement. Elle les envie, se nourrit parfois de leur paisible repos, veut en tirer des profits pour elle-même, prolonger le silence de ce sommeil assumé auprès d’elle, là tout près, dans la chambre d’à côté, calfeutrée, fraîche, détachée du monde. Et elle marche à petits pas, ouvre un meuble, range un livre, plie un linge, lentement, avec économie, en dosant précautionneusement les bruits et les silences, tout en même temps. Les secondes, les minutes passant, elle écoute monter peu à peu les bruits du dehors puisque la maison est silencieuse, exempte de mouvements, même des siens qu’elle limite avec tant d’application. Ses sens sont tout entiers tournés vers l’extérieur, dans l’attente de la montée du jour, la naissance d’une nouvelle journée dans l’odeur humide d’herbe et de terre.
Gober le fruit
Depuis tout ce temps où elle croyait savoir
Elle est un peu muette publiquement absente
peu concernée lointaine figée de naissance
Et puis vient une ride au coin des lèvres
entre les sourcils clairsemés d’absence
Et le passant l’ami l’enfant
pressentent une noirceur
une profonde froideur
peut être de l’indifférence
un excès de sérieux
un défaut de légèreté de tolérance
Leurs yeux la voient
camouflée sous la tristesse
incapable de s’en extraire
de la chasser de sa peau
Elle sait que de tous ses pores elle aime
rire éclater bruire et semer la joie
Et elle se dit qu’elle a certainement avancé
maladroitement depuis tout ce temps
où elle croyait
savoir