Mélu-Zine

La fée Mélusine se prendrait pour moi, une image coloriée, féconde et légère. Je la suis dans des méandres d’enfance, mais la garder auprès de moi adulte, me gêne, m’oppresse. Une fée pour quoi faire, une gardienne, une mégère … Apprivoise-la disent mes sens, mets-la au pli dit mon cerveau. J’en connais pourtant une gentille image, une légère caresse sur la peau. Même son nom est une chanson : Mélu nous envoie dans la lune, Zine sonne tellement doux.  Ne m’appelait-on pas Mélounie… Je suis à moi seule une Mélu-Zine méconnue, endormie même éveillée, maladroite et rigide dès le pied posé à terre. Sauter, rire, danser comme la fée, dans les flûtes de ses syllabes. La respirer, la rendre dans mon souffle clair, lumineux et faire naître la douceur. Instiller le simple goût du jour autour et dedans ceux que j’aime, les forcer à entendre mélu-ziner, les forcer à aimer son air enluminé. Les forcer ? Mais non… On ne force pas l’amour, même celui de Mélusine !

Ombres portées

Il y a près du village
une chapelle
semblable à une bergerie
Sa voûte est taillée
aux proportions d’un troupeau
et d’un berger
pas plus grand que ses bêtes
Sous l’arceau bas et lumineux
la poussière des siècles
est intacte
Le berger et son troupeau
y ont sculpté leur ombre

Le village

Des maisons alignées
pas farouches mais hagardes
habitées par des femmes des hommes
pas farouches parfois hagards
L’humanité en minuscules
dans un village quelconque

°

Le village est un abri
pernicieux
Il attise les bruits
rapproche les limites
Quand prendrons-nous
l’envol qui sauve ?

°

Dans chaque village
respire une pierre
qui a recueilli
les souvenirs
Cette pierre est cachée
le plus souvent
La chercher
est notre seule chance
d’un jour
voir dans l’avenir

Au jardin

Texte proposé – et non sélectionné – au Concours de Nouvelles « 48h pour écrire » organisé par Edilivre
Thème  : Et si j’étais un animal, lequel serais-je ?

Je sais que j’agace, que j’effraie par mes vols saccadés et imprévibles, mes bourdonnements, mes vrombissements. Ce n’est pas pour rien que l’on m’appelle Buzzygirl !

Oui, je vois bien que je la dérange, la dame en train de prendre un repos bien mérité, tranquillement installée sur sa chaise longue. Je suis venue chez elle, attirée par ses plates-bandes, ses massifs, ses allées fleuries. Dans ce quartier, pas de meilleur coin à butiner. La jolie femme dans son jardin a la main verte, elle s’y connait en espèces de toutes sortes, des plus odorantes aux plus discrètes, des éphémères aux vivaces.

Depuis ce matin, elle n’a pas encore fait attention à moi. Il faut dire que j’ai pris la peine d’enfiler une jupe verte et un chemisier fleuri. Plus je me camoufle, moins je risque l’affrontement avec les hôtes de ces jardins.

La voilà qui se lève pour continuer sa tâche matinale. Elle a dans la main son outil de prédilection, un sécateur à bouquet. Attention de ne pas l’agacer de trop près. Je sens qu’elle va me priver bientôt du nectar de ces giroflées que je comptais récolter ce matin.

Je ne vous avais pas précisé : je suis abeille ouvrière et l’on attend de moi pas mal de travail en échange de mes balades dans les jardins. Je ne peux perdre une journée sans fournir à ma reine le fruit de mes excursions.

Je suis très excitée ce matin, c’est vrai ! C’est que je dois être efficace, productive, un peu comme la femme que j’observe en ce moment. Mais contrairement à elle, je n’ai pas la vie devant moi. J’ai l’air en forme, comme ça, bien bronzée, coiffée et apprêtée comme une pin-up dans ma jolie tenue, mais je n’ai pas l’été devant moi. Mes jours sont comptés. Mon travail est tellement épuisant que, me croirez-vous ? je ne serai plus de ce monde avant l’automne.

Mais je m’égare, je discute, je palabre… Pendant ce temps, jolie Madame me tend le piège auquel je ne m’attendais pas de sa part. Je ne sais pas pourquoi je suis si confiante ce matin, habituellement je me méfie davantage. Des odeurs suspectes m’avertissent souvent que le danger est proche. En pleine campagne surtout, je hume de loin les relents mortifères qui balayent les champs. Et je les vois venir les hommes avec leurs engins. Eux n’ont jamais fait attention à moi. Mais attention, pas tombée de la dernière pluie, la petite Buzzygirl ! Dans ces coins là, je me camoufle sous ma cape couleur de sable, mon petit bonnet vert me protégeant des sales émanations de leurs outils. Ce n’est pas de la poudre dorée qu’ils dispersent, il n’y a pas de gentils marchands de sables dans ces contrées dangereuses.

Et oui, je sais qu’il ne me reste pas grand temps à vivre. Mais ce matin, je me sentais si jeune et jolie en jupe verte, couleur de l’espérance ! Le jardin à plates-bandes m’accueillait si gentiment. Du travail à portée de main, sans trop de fatigue. Butiner les giroflées, les géraniums, puis passer aux lavandes, aux marguerites, aux oeillets… Et ramasser un joli butin. « C’est ma reine qui sera fière de moi ! » me disais-je en commençant mon travail matinal.

Et voilà que ma journée vire à la désillusion. Ma jolie Dame a repéré quelques pucerons ici et là. Ces pauvres petites bêtes n’ont pas eu comme moi l’idée de se camoufler. Je me tiens prudemment à distance. La dame est en train d’agiter sa bombe, des giclées de poison se répandent sur les massifs. « Pas folle la guêpe » pourrais-je dire, elle a mis son mouchoir sur son nez. Elle sait bien que l’air de son jardin perd tout d’un coup de sa fraîcheur. Il y a danger, elle l’a bien compris. Et moi qui la trouvais parfaite. Je vous l’avoue maintenant, j’avais pris l’habitude de m’habiller comme elle pour venir dans son quartier, tellement je l’admirais.

Elle ne m’apercevra pas aujourd’hui. Je suis obligée de battre en retraite, même ici je risque trop. Mon contrat d’ouvrière ne me permet pas de mourir avant la fin de l’été. Ma reine m’attend avant la tombée du jour pour récolter le produit de mon travail. Moi qui croyais avoir trouvé le jardin idéal !

Trois recueils en un…

Retour sur trois recueils parus en 2018 et 2019 grâce à la confiance des Editions Encres Vives.

Les recueils à parcourir

Poème tiré de Nuit Serpentine, illustré par une amie.

« Je dors affligée
à la merci de celui
qui me regarde

Je lui offre
mon sommeil
pour qu’à son tour
il saisisse
l’ombre

Mais je sais
qu’inlassablement
je bannirai les plaintes
pour oublier
les yeux
rivés sur moi
depuis les nuits
de création
et de honte »

 

Site des Editions Encres Vives

J’aurais pu

J’aurais pu apprendre que tu n’étais plus, là, stoïque, même pas démontée. Je me serais félicitée d’avoir lu l’avis, l’annonce imprimée en grosses lettres noires de deuil. J’aurais mangé une pomme, pomme de désir, d’amour, rouge et saignante. J’aurais aimé pensé c’est fini, bouclé, dépassé, advenu. Une histoire avec une fin. J’aurais relu les lettres noires de deuil, gros caractères petits frissons. Je les aurais vues se découper sur le mur d’en face, je n’aurais pas fermé les yeux. Tes yeux à toi seraient éteints sur la rougeur du temps, la tempête et le vent dans le ciel. J’aurais pu apprendre que tu n’étais plus. Mais j’aurais continué à chercher à comprendre.

Années soixante

La plage des années soixante existe encore. Je l’ai rencontrée, je dirais même que je la rencontre chaque année depuis toujours. Mêmes longues étendues de sable fin, mêmes dunes retenues par les ganivelles, mêmes drapeaux annonçant le calme ou la nervosité des vagues.

Début juillet il est encore possible, comme soixante ans plus tôt, d’étaler sa serviette sur un espace viable. C’est une plage du Sud de la France, sur ce littoral languedocien bordé, du Rhône à l’Espagne, d’étangs plus ou moins vastes. La nostalgie des lieux tient sans doute dans ce coude à coude entre la mer et l’étang. Les étendues planes, coupées seulement par endroit par les touffes de salicorne et les silhouettes roses des tamaris prêtent aux plages de sable voisines leur air nonchalant et presque abandonné.

Dans ce décor naturel, les mouettes survolent toujours les serviettes des baigneurs en jetant leur cri éraillé, des voix d’enfants se mêlent au bruit des vagues, les vendeurs de glace attirent le client par leurs slogans plus ou moins timides, au loin de temps en temps un moteur de bateau force un peu bruyamment son accélération, les chateaux de sable s’élèvent avant de s’écrouler sous la montée de l’eau, de petits avions traversent le bout de ciel bleu étirant une banderole de publicité et les parasols multicolores semblent arrimés là depuis tout ce temps. Rien n’a donc changé.

Enfin presque. Il manque à tout ce décor une odeur de simple casse-croûte, un relent de fond d’huile bouillante rehaussé de sel : celle qui émanait du fourgon-buvette calé bien à l’abri de la dune. Son propriétaire s’improvisait cuisinier de juin à septembre. Avec ses barquettes de patates huileuses, il était là pour compléter les pique-niques que les mamans étalaient sur des torchons sous le parasol à l’heure du midi. Son installation artisanale, parfois bancale était d’une propreté équivoque, mais personne ne le déplorait, pas même nos estomacs.

Le vendeur de frites et son bric-à-brac ont été chassés du bord de mer. Normes d’hygiène insuffisantes, occupation de l’espace inapproprié, esthétique équivoque… Les raisons de leur disparition ne manquent pas depuis que des réglementations multiples imposent leurs critères draconiens. Pendant ce temps, de loin en loin, de luxueux restaurants déguisés en paillote se sont installés et occupent l’espace six mois sur douze. Il faut dire que, à la plage comme à la ville, désormais l’assiette se doit d’être artistique, gastronomique, élitiste.

Mais en détournant le regard, avec un petit effort, on peut revoir le fourgon Frites-Buvette arrimé là en fond de plage, juste à l’endroit où le sable brûle les pieds. Et en fermant les yeux, sentir un relent de friture nous chatouiller les narines. L’espace d’un moment, replonger dans les années soixante.